mardi 25 décembre 2018

Clorinde, ma colocataire (9)


– J’ai téléphoné à Martial.
Elle est restée la fourchette en l’air.
– Ah !
– Un bon moment on a passé ensemble au téléphone.
– Et alors ?
– Il m’a posé des tas de questions sur toi. Comme ça, mine de rien, sans avoir l’air d’y toucher.
– Quel genre de questions ?
– Qui tu étais. D’où je te connaissais. Qu’est-ce tu fabriquais chez moi. Et s’il y avait quelque chose entre nous. Ça le préoccupe beaucoup, ça, apparemment.
– Et vous avez répondu quoi ?
– Que tu es étudiante, que je t’héberge momentanément pour rendre service à tes parents et qu’il n’y a rien entre nous. Strictement rien. Point barre.
– Il vous a pas cru, j’parie !
– Il a eu du mal. Il a pas lâché le morceau comme ça. Il y avait peut-être pas, mais il y aurait, non ? Une jolie petite caille comme toi, j’allais quand même pas laisser passer une occasion pareille ! Si?Ah, mais il voyait… T’avais un mec. Auquel t’étais sacrément accro. C’était ça, hein ? Il m’a seulement pas laissé le temps de répondre. Ben oui, forcément que c’était ça. Et sûr que, du coup, j’avais effectivement tout intérêt à faire profil bas. Parce qu’une nana, quand elle était toquée d’un mec, c’était peine perdue. Valait mieux attendre patiemment son heure. Je t’avais vue à poil au moins ? Non ? Même pas ? Oh, putain ! Lui, il y aurait une nana canon comme toi qui serait venue habiter chez lui, mais il aurait rien eu de plus pressé, dès le début, que de se débrouiller pour voir comment elle était fichue, si elle se rasait le minou, tout ça…
– Ben, tiens !
– Ah, pour lui taper dans l’œil, tu lui as tapé dans l’œil, ça, on peut pas dire.
– Vous l’avez invité ?
– Samedi prochain. Il est absolument ravi.
Elle a fait la moue.
– Mouais…
– Non ? Ça te va pas ? Si t’as peur qu’il te drague plein pot, je peux te rassurer tout de suite. Je le connais depuis le temps. Martial, c’est le type qui parle beaucoup, qui fantasme beaucoup, qui, à l’entendre, a couché avec tout le pays. En réalité, avec les femmes, il est plutôt du genre réservé. Il va te bouffer des yeux, ça, c’est sûr. Bouillonner à l’intérieur. Sûrement bander comme un furieux, mais il aura pas un mot déplacé, pas un geste inconvenant. Pas même un regard trop appuyé. Rien. Il te foutra la paix.
– Je l’ai pas vu très longtemps, mais c’est bien l’impression que j’ai tout de suite eue, oui. C’est pour ça: je trouve que c’est un peu prématuré samedi. Pourquoi si vite ? Il faut lui laisser le temps de la rêver cette rencontre, de l’idéaliser, de ne plus penser qu’à ça. Il ne l’en appréciera que davantage. Et à moi, il faut me laisser le temps de penser à lui en train d’y penser. Je vais adorer.
– Je vois. Bon, ben je vais le rappeler alors. Et reporter à une date ultérieure.
– Ce serait bien, oui.
– Et, au final, tout le monde va y trouver son compte.
– Même vous ?
– Même moi, oui ! Te voir savourer, à discrètes petites lampées gourmandes, l'intense satisfaction que tu vas éprouver à sentir son désir se poser sur toi, s’y installer, y séjourner, ça va être, pour moi, un véritable enchantement.
– Oh, vous, faudra que je vous emmène avec moi dans mes expéditions, quand j’erre par les rues, pendant des heures, que j’y croise, par dizaines, des regards qui s’enchantent de moi quelques fractions de seconde et qui m’emportent avec eux comme un trésor. Qui me ramènent secrètement chez eux. Avec eux.
– Et dont tu vas partager, de longues semaines durant, tous les plaisirs.

mardi 18 décembre 2018

Clorinde, ma colocataire (8)


Le lendemain était un dimanche.
Elle s’est levée tôt. Beaucoup plus tôt que d’habitude.
– Ça va ce matin ?
– Oh, oui, ça va, oui. Nickel.
Avec un petit sourire mutin.
– Ce que je ne comprends pas…
– Je sais ce que vous allez dire, je sais.
– C’est que, l’autre nuit, t’es rentrée avec un garçon et calme plat. Silence radio. Alors qu’hier soir…
– J’étais toute seule et…
– Un véritable tsunami. Ah, pour donner ça a donné.
– Ben, oui, qu’est-ce que vous voulez ! On maîtrise pas toujours tout.
– L’effet Martial ? Évidemment, l’effet Martial. Bien sûr, l’effet Martial. Tu racontes ?
– Hein ? Oh, non ! Non !
– Alors c’est moi qui vais le faire. D’abord, tu as imaginé que tu repartais faire des courses, mais toute seule cette fois. À la caisse, il est venu déposer ses achats sur le tapis, juste derrière les tiens. Il t’a reconnue. Tu l’as reconnu. Un bref bonjour. Il t’a demandé comment j’allais. « Oh, bien ! Bien ! » Et tu ne t’es plus préoccupée, en apparence, que de remettre tes courses dans ton chariot, le plus vite possible, mais, en réalité, tu ne pouvais penser qu’à lui, qu’à ses regards qui se gorgeaient de toi, qui profitaient de ce que tu avais le dos tourné pour s’en rassasier. Tu le savais. Tu le sentais. Qu’ils étaient bons ses regards ! D’admiration. D’émerveillement. De désir. Tu les ignorais superbement, mais qu’ils étaient bons ! Comment ils te troublaient ! Au-dehors, tu as mis une éternité à ranger tes achats dans le coffre pour lui laisser le temps de régler les siens, de surgir à son tour sur le parking, de s’installer au volant de sa voiture garée là, quelque part, derrière toi, d’enfouir sa main dans son pantalon en te dévorant des yeux et de donner libre cours à son plaisir. Et c’est alors que le tien t’a emportée. C’est pas comme ça que ça s’est passé ?
– Un peu, mais pas tout-à-fait quand même.
– C’était pas au super marché d’hier ?
– Si ! Sauf que j’étais beaucoup plus coquine et audacieuse que ça. Je suis montée à côté de lui dans la voiture et je l’ai regardé faire.
– J’aurais dû m’en douter. Tu l’as touché ?
– Des yeux. De tout près.
– Et c’est là que t’es venue.
– On devrait arrêter d’en parler. Ça me redonne trop envie.
– Je vois ça, oui ! Ta petite culotte te trahit.
– Hein ? Oh, là là, oui ! Et vous ?
– Quoi, moi ?
– Vous allez quand même pas me dire que vous êtes resté les mains sagement jointes sur la couverture alors qu’à côté j’étais en train de brailler comme une forcenée ?
– Non. De toute façon, tu ne me croirais pas.
– Ah, ça, c’est sûr ! Vous pensiez à quelque chose ?
– À rien de précis. Tu m’as pris de court. Alors j’ai juste laissé flotter des images.
– De moi ?
– Ben oui, de toi. Vu les circonstances, ça s’imposait, non ?
– C’était quoi ?
– Toi, à la piscine. Toi, toute nue devant le lavabo de la salle de bains. Toi, affalée sur le canapé avec la culotte qui te rentrait dans la raie des fesses.
– Vous m’avez imaginée en train de me le faire ?
– C’était le moment ou jamais.
– Quand c’est que vous avez spermé ? En même temps que moi ?
– Un tout petit peu après.
– Et d’habitude ? Quand je vous oblige pas à vous précipiter… Vous vous en inventez des histoires ?
– Toujours.
– Je suis dedans ?
– Très souvent.
– Vous me les raconterez ?
– On verra.
– Ah, ben si, si ! Ce serait normal. Je suis quand même la première concernée, non ?
– On verra, j’te dis !
– Bon, ben, en attendant, vous savez pas ? Comme c’est dimanche, je vais retourner paresser un peu au lit, moi.
Elle a laissé la porte entrebaîllée. D’un tout petit demi-centimètre.

mardi 11 décembre 2018

Clorinde, ma colocataire (7)


Maxime m’avait adressé un chèque. Un gros chèque.
– Non, parce que pas question que tu la nourrisses. En plus ! Ce serait la meilleure…
Et on était allés, tous les deux, Clorinde et moi, faire des courses. Des monceaux de courses. Elle remplissait tant et plus les chariots.
– Hou là ! Mais on va avoir des provisions pour au moins six mois.
– Tant mieux ! Vous pourrez pas me foutre dehors avant comme ça…
– Comme si j’en avais l’intention !

À la caisse, on m’a tapé sur l’épaule.
– Martial ! Mais qu’est-ce tu fiches là ?
– Ben, et toi ?
– J’habite dans le coin.
– Pareil.
– Non, mais c’est trop, ça ! Attends ! Donne-moi ton numéro… Faut absolument qu’on s’organise un truc, là. Qu’on se fasse une bouffe. Quelque chose.
– Et comment ! Ça s’impose…
Il s’est discrètement penché à mon oreille.
– Ben, dis donc, tu te mouches pas du pied, toi !
– C’est pas du tout ce que tu crois.
– Que ce soit ça ou pas, en tout cas il y a un sacré petit lot, là.

Elle a attaché sa ceinture.
– Vous me dites ?
– Quoi donc ?
– C’était qui ce type ?
– Martial.
– Oui, ça, j’avais compris, merci. Je suis pas complètement idiote. Mais encore ?
– Je l’ai connu au lycée, Martial. On a fait les quatre cents coups ensemble. Avant de travailler quelque temps pour la même boîte. On est ensuite restés épisodiquement en contact pour, finalement, se perdre complètement de vue.
– Et vous vous êtes retrouvés. Par hasard. C’est un signe du destin, ça ! Faut que vous restiez amis.
– On verra.
– Il vous a dit quelque chose tout bas à un moment. C’était pour pas que j’entende ?
– Tu es très perspicace.
– C’était quoi ?
– Il se demandait pourquoi je traînais une fille aussi moche avec moi.
– Non. Sérieux…
– Il te trouvait ravissante.
– Je lui ai tapé dans l’œil, j’ai bien vu. Il te me jetait de ces regards en douce !
– Ah, ça t’a bien plu, ça, hein !
– Il va venir à la maison ?
– Sûrement pas, non.
– Hein ! Ben, pourquoi ?
– Parce que j’ai pas du tout envie de te jeter dans la gueule du loup.
– Oh, tu parles !
– Alors là, je suis bien tranquille. Tu vas lui tomber dans les bras, te tirer aussi sec avec et moi, je vais rester là, tout seul, comme un con.
– N’importe quoi ! Je coucherai jamais avec un vieux. Jamais ! Vous avez pas encore capté ça depuis le temps que je vous le répète ? Je veux juste…
– Tu veux juste ?
– Sentir que je lui plais… Comme si vous le saviez pas !

mardi 4 décembre 2018

Clorinde, ma colacataire (6)


– Ça va comme ça ?
Elle sortait.
– T’es ravissante.
– Ça fait pas trop la fille qui part en chasse ?
– Pas du tout, non. T’es plutôt en mode subtilement coquette. Et c’est quoi l’objectif ? Le belge ?
– Oh, non ! Non. Il y sera pas, lui, n’importe comment à cette soirée. Et puis même… Je suis pas sûre d’en avoir vraiment envie. Il y a des trucs qui me gonflent chez lui. Non, là, ce soir, l’artiste travaille sans filet. Je connais personne. Alors tout est possible. Ou rien. J’aime bien m’aventurer en terre inconnue comme ça. Sans avoir la moindre idée de ce qui va se passer. Bon, ben à demain alors. J’y vais..
Et elle m’a envoyé un baiser. Du bout des doigts.

Elle est rentrée sur le coup de trois heures du matin. En compagnie de quelqu’un. Ils ont monté l’escalier à pas de loup. Dans la chambre, il y a d’abord eu des mots murmurés bas. Un rire étouffé. Le sommier a grincé. De plus en plus vite. Ça s’est arrêté. Leurs voix. La porte. Elle l’a raccompagné jusqu’en bas.

– Alors ?
Elle a fini de beurrer sa tartine.
– Ben alors, rien du tout… Le coup foireux, mais vraiment foireux. Pire, il y a pas. Le mec, il te grimpe. Il fait sa petite affaire et il se casse. De toi il a strictement rien à foutre.
– Charmant…
– C’est un peu de ma faute aussi… J’aurais dû m’en douter. Il y avait des signes. Qui ne trompent pas quand on a l’habitude. J’ai pas voulu les voir. J’étais obnubilée.
– Par quoi ?
– Par sa queue, tiens ! Qu’était dressée toute droite contre ma cuisse quand on dansait. Et ça, moi, dans ce cas-là, j’ai l’imagination qui part au triple galop. J’essaie de deviner comment elle est faite. Je m’en construis un portrait-robot. Et au bout d’un moment, forcément, je crève d’envie de le comparer à l’original. Et, pour ça, il y a pas trente-six mille solutions. Sauf que là, ça a complètement foiré. J’ai même pas pu vraiment la lui voir vraiment en plus. Comme j’aime bien. En prenant tout mon temps. En la détaillant sous toutes les coutures. Bon, mais ça arrive. Il y a pas de quoi en faire toute une maladie non plus. Ce sont les aléas. La prochaine fois, ça se passera mieux. Ou pas. De toute façon, quand veux vraiment prendre mon pied, j’ai la solution toute trouvée. Jérémie. Avec lui je suis sûre de grimper aux rideaux. À chaque fois. Il me connaît bien, il sait comment je fonctionne et il prend tout son temps. C’est des après-midis entières qu’on y passe des fois. J’en sors complètement épuisée, mais comblée. Il est plein de qualités en plus. Il est drôle. Il sait plein de trucs. Il se prend pas la tête. C’est un amour, Jérémie ! Faudra que je vous le fasse connaître un jour, tiens !
– Ce que je comprends pas, c’est pourquoi, si vous vous entendez si bien…
– On se met pas ensemble ? Je sais, oui, tout le monde nous le dit qu’on est faits l’un pour l’autre. Mais non. Non. Je suis pas idiote. Et lui non plus. Du jour où on serait vingt-quatre heures sur vingt-quatre l’un sur l’autre, ça partirait en vrille. Il a son caractère et moi, j’ai le mien. Ça durerait un an, peut-être deux, et ça ferait comme les autres. Exactement pareil. Faut pas se raconter d’histoires. Parce qu’on en a des dizaines et des dizaines des copains qui se sont mis en couple. Que, soi-disant, eux, ce serait différent. Qu’ils se laisseraient leur liberté. Qu’ils se rogneraient pas les ailes. Que ce serait le bonheur au quotidien. Seulement à l’arrivée… Non, non. On reste comme ça…

mardi 27 novembre 2018

Clorinde, ma colocataire (5)


Il ne nous a fallu que quelques jours pour prendre notre vitesse de croisière.
Elle se levait vers huit heures.
– Mais vous me réveillez, hein, si je m’oublie…
Surgissait, tout ensommeillée, en petite tenue – ou carrément à poil, c’était selon – dans la cuisine.
– Salut !
– Bien dormi ?
Elle ne répondait pas, se versait, en le faisant bien souvent déborder, un grand bol de café noir qu’elle avalait d’un trait.
Et elle filait à la salle de bains. D’où elle m’appelait presque aussitôt.
– Venez me parler ! Ça me réveillera. J’aime pas ça, rester toute seule, n’importe comment.
Elle se douchait. Et puis moi. Elle se séchait les cheveux, se maquillait devant la glace au-dessus du lavabo. Tout en poussant de profonds soupirs.
– Encore une journée à tirer. C’est la purge ! Non, mais quelle idée j’ai eue d’aller m’engouffrer là-dedans, moi ? Psycho. Tu parles ! On te gave de certitudes soi-disant scientifiques qui n’auront plus cours dans dix ans. Et que je te fais des nœuds au cerveau. Et que je te m’écoute causer. Et tout ça pour quoi ? Pour rien. T’auras pas de boulot à la sortie. Plus personne en veut des psychologues. C’est passé de mode. Et on est des milliers sur le marché.
Elle me tendait la joue.
– Bon, allez, courage, j’y vais.

Elle rentrait vers cinq ou six heures. Quelquefois sept.
– Non pas que j’aie passé tout ce temps-là à la fac, hein, je suis pas maso. Non, j’ai traîné à droite, traîné à gauche. Discuté. Fait quelques magasins. Passé un coup de fil à Emma. Et quand on se téléphone, toutes les deux, en général, ça dure…
Il était hors de question de descendre à la piscine. La température ne s’y prêtait plus.
Alors elle s’éclipsait dans sa chambre.
– Je vais bosser.
Et en ressortait dès qu’elle m’entendait m’agiter aux fourneaux.
– Je vais pas vous laisser tout faire, attendez ! Et puis faudra voir aussi pour les courses. Que je participe…
– Oui, oh…
– Ah, si, si ! Faut pas exagérer. De toute façon, ils accepteront jamais ça, mes parents. Alors si vous voulez pas qu’ils me rapatrient…

Le meilleur moment de la journée, c’était le soir. Après le repas. On s’installait au salon. On n’allumait pas la télé.
– C’est pour les vieux, ça, la télé, vous trouvez pas ?
Elle sirotait un limoncello. Moi, un Lavagulin. Et elle entrait en confidences.
– Mine de rien, il y en a quand même trois qui me tournent autour depuis la rentrée. Et des pas mal du tout. Un surtout. Un petit blond. Un belge. Dont je ferais bien mon quatre heures.
– Eh, ben, vas-y ! Qu’est-ce t’attends ? Fonce !
– Ah, ben non ! Non ! Surtout pas. Faut lui laisser le temps de monter en pression au mec. De se demander s’il va parvenir à ses fins ou pas. Ce n’en est que meilleur le jour où ça se fait. Pour lui comme pour toi.
– C’est toujours vous, les filles, qui menez le jeu en fait. À votre guise.
– Encore heureux ! Manquerait plus que ça !

mardi 20 novembre 2018

Clorinde, ma colocataire (4)


– Déjà ! Eh ben, dis donc, c’était un petit saut.
– Oui, oh ! Ça va être aussi plan plan que l’an dernier. Et, à moins que, parmi les nouveaux, il y ait deux ou trois mecs consommables, je vais encore m’emmerder comme un rat mort, moi, c’est couru d’avance. Bon, mais passons aux choses sérieuses. Vous avez vu ce temps ? Piscine, non ? Ça s’impose. D’autant que je vous dois une revanche, même si le résultat fait pas le moindre doute. Vous allez encore vous traîner lamentablement loin derrière.
– Non, mais écoutez-moi cette petite prétentieuse ! Tu vas voir ce que tu vas voir…

– Et là, pas calmée ?
On venait de se laisser tomber, comme la veille, sur les matelas.
– Forcément ! Je vous ai laissé gagner. Faut bien que je vous caresse un peu dans le sens du poil si je veux pouvoir rester ici.
– Non, mais alors là ! Alors là ! Quelle petite saloperie tu fais !
Elle m’a tiré la langue.
– En douce que vous avez quand même fait de sacrés progrès depuis hier. Et pas seulement dans l’eau.
J’ai levé sur elle un regard interrogateur.
– Ben, oui ! Vous vous êtes décoincé. Vous bandez un peu, pas mal même, mais au moins, cette fois-ci, vous vous planquez pas honteusement, sur le ventre, pour le faire.
Et son regard s’est tranquillement installé sur moi en bas. S’y est longuement attardé.
Elle a constaté, avec un petit sourire amusé.
– Vous êtes souvent comme ça, n’empêche, vous, les mecs ! Suffit qu’on vous pose les yeux dessus pour qu’elle se mette à grimper. Et alors si, en plus, on vous cause d’elle !
Elle s’est absorbée dans sa contemplation.
– J’aime trop voir ça, moi ! Ça monte. Ça redescend. Ça repart. Ça fait tout un tas de soubresauts. On sait jamais jamais si elles sont à fond ou si elles ont encore de la marge. N’empêche, il y en a pas deux pareilles, si on y réfléchit bien. C’est ce qui fait tout l’intérêt de la chose d’ailleurs.
Elle s’est laissée retomber sur le dos.
– Stop ! Suffit. C’est tout pour aujourd’hui. Faut pas abuser des bonnes choses. On finit par s’en lasser sinon. C’est ce qu’elle dit toujours ma copine Emma. Et, là-dessus, elle a raison. Elle est trop, Emma. Ah, pour une vedette, c’est une vedette ! Je vous la ferai connaître, vous verrez ! Elle vous plaira, j’en suis sûre. Elle est encore pire que moi.
Son portable a bipé.
– C’est pas vrai ! Ils me ficheront pas la paix…
Elle y a jeté un coup d’œil. A soupiré. L’a reposé.
– En attendant, si je suis comme je suis maintenant, c’est grâce à elle, Emma. Parce que vous m’auriez vue, il y a encore seulement deux ans ! Pleine de principes, la fille ! Bardée de tout un tas de préjugés. Comment elle m’a fait voler tout ça en éclats ! « Ben, quoi ! Ils passent bien leur temps à nous mater tout partout, les mecs. Pourquoi on aurait pas le droit de faire pareil avec eux, nous ? » Et elle ne s’en privait pas. Dès qu’il y avait une occasion, elle sautait dessus. Je comprenais pas au début. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien y trouver ? Et puis, à force de la voir faire, de l’entendre en parler, j’ai fini par me donner le droit d’y prendre, moi aussi, du plaisir. On aime toutes ça en fait, nous, les filles, voir comment les mecs sont montés. Mais on ose pas se l’avouer. On se l’interdit. C’est pas du regard des autres qu’on a surtout peur, en l’occurrence, c’est du regard de soi-même sur soi-même. Qu’est-ce que je vais penser de moi ? Ben rien, en réalité ! Il y a aucune espèce de raison d’avoir honte, si on y réfléchit bien. De laisser des idées convenues qui n’ont aucun fondement réel nous dicter leur loi. Une fois que t’as a compris ça… Eh ben, une fois que t’as compris ça, qu’est-ce que t’as comme retard à rattraper !

mardi 13 novembre 2018

Clorinde, ma colocataire (3)


Elle a émergé à onze heures. Au radar. Et vêtue, en tout et pour tout, d’une toute petite culotte blanche qui mettait généreusement en relief – et en valeur – ce qu’elle était supposée dissimuler.
– Tu veux du café ?
– Ce serait sympa, oui. Que j’y voie plus clair !
Elle a soupiré.
– Cinq messages il m’a laissés depuis ce matin, aux aurores. Cinq.
– Maxime ?
– Ben, oui ! Et tout ça pour me dire qu’il faut que je prospecte au plus vite. Qu’il est pas question que je reste ici à vous ennuyer.
– Mais tu m’ennuies pas.
– J’ai vraiment pas l’impression, non.
Son téléphone a sonné.
– Qu’est-ce vous pariez que c’est lui ? Ah, non, tiens, c’est ma mère, ce coup-ci… Allô, oui… Oui… Mais tu me l’as déjà dit dix mille fois, ça, enfin, maman ! Mais non ! Non ! Mais oui, j’te promets, oui ! C’est ça ! Moi aussi…
Elle a raccroché.
– Qu’est-ce qu’elle peut être lourde quand elle s’y met ! Toujours le même refrain : « Ne parle pas à tort et à travers, Clorinde ! Ne dis pas n’importe quoi ! Un jour ou l’autre, ça te retombera sur le coin de la figure. » En gros, elle a peur que je vous vexe. Mais ça, moi, je suis pas d’accord. Faut le dire ce qu’on pense. Ou ce qu’on ressent. Et tant pis si l’autre, en face, ça lui plaît pas. Ou s’il le prend de travers. Il y a rien de pire que de tout garder pour soi. Non ? Vous croyez pas, vous ?
– Fais comme tu le sens !
– Et son autre grand dada, c’est de me répéter, sur tous les tons, qu’il faut que je sois un minimum décente. Elle me bassine avec ça. « T’es pas à la maison, Clorinde ! Tu te balades pas à poil chez ce monsieur ! Ça se fait pas ! » Mais moi, ce qui se fait ou ce qui se fait pas, les conventions, tout ça, j’en ai strictement rien à battre. Et c’est depuis toute petite que j’ai l’habitude d’être à mon aise, alors c’est sûrement pas aujourd’hui que je vais changer. Qu’elle y compte pas ! D’autant que, de toute façon, ça regarde que nous, vous et moi, ce qui se passe ici. Et je me balade comme j’ai envie.
– Ce qui ne me gêne absolument pas.
– Tu parles que ça vous gêne pas ! Vous vous régalez, oui ! Ça saute aux yeux.<Si bien que, finalement, tout le monde est content. Sauf elle ! Mais elle le saura pas.
Elle s’est étirée.
– Je pourrais pas ravoir un café ? Non, attendez ! Bougez pas ! Je vais y aller. Je vais me servir.
Elle a chaloupé jusqu’au plan de travail. Je n’ai pas quitté ses fesses des yeux ni, au retour, la douce échancrure voilée dont je me suis désespérément efforcé de percer le secret, du regard, sous le fin tissu blanc.
Elle s’est rassise.
– J’appréhende… Vous pouvez pas savoir comme j’appréhende…
– Quoi donc ?
– D’en trouver un d’appart. Parce que je vais l’avoir sans arrêt par les pieds. À vouloir l’aménager comme elle l’entend, elle ! Ça va être prise de tête permanente. Parce que, dans son esprit, ses goûts à elle ont valeur universelle. Elle ne conçoit pas une seule seconde qu’on puisse en avoir d’autres. Et comme j’ai pas du tout envie que, chez moi, ce soit l’exacte réplique de chez elle, on va s’engueuler vingt fois par jour.
– Eh bien, gagne du temps ! Fais semblant de mettre toute ton énergie à chercher. Et ne trouve pas ! Moi, de mon côté, je rassurerai Maxime. Mais oui, tout se passe bien ! Mais non, tu ne me gênes pas. Pas le moins du monde. Au contraire ! Ça me fait une présence. Ça met un peu d’animation et de jeunesse dans la maison. Et tutti quanti… Petit à petit ça va devenir une situation de fait. À laquelle ils vont s’habituer. Ils n’en parleront presque plus. De moins en moins. Dans trois mois, Ils n’en parleront plus du tout. Et le tour sera joué.
– Vous savez que vous êtes plein de ressources, vous, quand vous voulez ? Bon, mais en attendant faudrait peut-être bien que je fasse un saut à la fac, moi ! Louper la rentrée, ça ferait quand même désordre…

mardi 6 novembre 2018

Clorinde, ma colocataire (2)


– Comment elle est bonne ! Un vrai délice !
Elle n’avait pas perdu de temps. Elle était déjà à l’eau.
Toute nue.
– On en profite vachement mieux comme ça, vous trouvez pas ?
J’en étais moi aussi intimement convaincu.
– Ah, vous voyez ! Eh ben allez, alors ! Virez-moi toutes vos frusques et venez me rejoindre. Qu’on fasse la course. Vous tenez pas trois longueurs de piscine, je suis sûre…
– Oui, ben c’est ça, ce qu’on va voir.
– C’est tout vu.

On s’est affalés, hors d’haleine, sur deux matelas pneumatiques, côte à côte.
– Comment je vous ai pelé, n’empêche !
– Forcément, t’as triché.
– Wouah ! Cette mauvaise foi ! Je vous parle plus puisque c’est comme ça.
Et elle a fermé les yeux. Elle s’est voluptueusement offerte aux caresses du soleil auquel elle a abandonné ses seins en pente douce, aux larges aréoles claires, aux pointes légèrement dressées. Son ventre au galbe parfait. Ses cuisses resserrées qui ne laissaient à découvert que l’extrémité supérieure, totalement glabre, de son encoche d’amour.
Elle s’est retournée. De l’autre côté. La nuque. La longue descente du dos. Les deux petites fesses si gentiment rebondies.
À nouveau pile. À nouveau face. Longtemps.

Elle a fini par se redresser, par se tourner vers moi, appuyée sur un coude.
– Pourquoi vous restez toujours sur le ventre ? Vous voulez vous bronzer que le dos ?
J’ai haussé les épaules.
– C’est comme ça. Je sais pas.
– Oui, ben moi, je sais ! C’est que vous bandez comme un âne que je sois là, comme ça, à côté de vous et que vous voulez pas que je m’en aperçoive. C’est pas vrai peut-être ? Ah, vous voyez ! Vous répondez pas. Ça veut tout dire. Oh, mais c’est normal, pour un mec, de bander, hein ! C’est le contraire qui l’est pas.
Elle a chassé, d’une pichenette, un insecte venu se poser sur son sein.
– En même temps, je vous comprends de réagir comme ça. Parce qu’il y en a plein des filles de mon âge qui supportent pas l’idée de faire de l’effet à un homme du vôtre. Vu qu’elles n’éprouvent pas d’attirance pour lui, elles voudraient qu’il en ait pas non plus pour elles. Ben oui, mais c’est pas comme ça que ça se passe ! Une fille, à vingt ans, elle est au top du top. Elle brille de tous ses feux. Qu’elle le veuille ou non, elle attise le désir. Il a beau avoir quarante ans le type, ou cinquante ou soixante, elle l’émeut. Elle lui chavire la tête et les sens. C’est comme ça. Faut faire avec. Moi, ça me dérange pas. Pas du tout. Même qu’on soit nettement plus âgé que moi. Du moment qu’on reste dans les clous. Qu’on essaie pas de passer à l’acte. Parce que coucher alors là, non, non et non. Pas question ! C’est réservé aux jeunes comme moi, ça. Et c’est pas négociable. Par contre, qu’on flashe sur moi, quel que soit l’âge, j’y vois pas vraiment d’inconvénient. C’est même plutôt gratifiant. Carrément flatteur, oui. D’ailleurs, c’est pas pour me vanter, mais…
– Mais ?
– C’est quand même plutôt souvent que ça m’arrive. Et des types bien de leur personne, hein ! Des messieurs. Ce qu’est trop, c’est quand ils essaient de le cacher et qu’ils y arrivent pas. Que c’est plus fort qu’eux. Qu’ils arrêtent pas de te jeter des coups d’œil par en dessous. Tu te régales à les voir faire. Deux, il y en a eu hier. Un dans le bus. Cinquante ans. Quelque chose comme ça. Juste en face de moi il était assis. Et un autre à la poste, pendant que j’attendais mon tour. Dans la file d’à côté, il faisait la queue. Et aujourd’hui, il y a eu vous.
Elle s’est levée.
– Tout de suite, dès que vous m’avez vue, dès que j’ai passé la porte, je vous ai tapé dans l’œil. Je me trompe ?
Et elle s’est jetée à l’eau.
Elle se trompait pas, non.

mardi 30 octobre 2018

Clorinde, ma colocataire (1)



– Maxime ! Comment tu vas ? Ça fait si longtemps…
– Vingt ans. Plus de vingt ans. La dernière fois c’était à Mougins juste avant la naissance de Clorinde.
– Que je ne connais pas du coup.
– Que tu ne connais pas, non. Et justement : c’est à propos d’elle que je t’appelle. Si tu pouvais nous rendre un petit service, ça nous retirerait une sacrée épine du pied.
– Si c’est dans mes cordes…
– Que je t’explique. On lui avait trouvé un petit appart sympa à deux pas de la fac, sauf qu’hier, quand on s’est pointés, il s’est avéré que c’était une arnaque. Le type a loué une bonne douzaine de fois un truc qui lui appartenait pas et s’est barré avec les cautions. Sans doute à l’étranger. Et on se retrouve le bec dans l’eau. À deux jours de la rentrée.
– Je vois.
– Alors comme t’habites quasiment la porte à côté de la fac, on se demandait si t’aurais pas pu l’héberger. Juste quelques jours. En dépannage. Le temps qu’on se retourne. Qu’on lui cherche quelque chose de potable. Mais si ça te dérange, tu me dis franchement, hein, je me vexerai pas.
– Aucun souci. J’ai de la place.
– Elle t’encombrera pas, tu verras. C’est pas le genre. Elle mènera sa petite vie de son côté et te laissera mener tranquillement la tienne.
– Mais oui, j’te dis ! Amène-la quand tu veux.

Ce fut le lendemain matin.
C’était une fille aux yeux vifs, châtain clair, bronzée, qui m’a gratifié d’un large sourire.
– Merci. c’est sympa. Parce que sans vous…
Et a aussitôt voulu aller visiter sa chambre.
– Oh, mais c’est immense ! Je vais être comme une poule en pâte, moi, là-dedans. Je peux voir le reste ?
Je l’ai accompagnée de pièce en pièce.
– Mais c’est un palace ! Un vrai palace.
Elle s’est penchée à la fenêtre qui donnait sur l’arrière.
– Et il y a une piscine ! C’est pas vrai qu’il y a une piscine ! Oh, mais je repars pas, moi ! Je reste là jusqu’à la fin des temps.
Maxime a souri, haussé les épaules.
– Elle est nature, hein ! Bon, mais je te la laisse. Et encore merci.

Elle s’est installée.
Dans la chambre. La porte du dressing s’est ouverte et fermée à plusieurs reprises.
Dans la salle de bains.
– Hou ! Hou ! Vous êtes par là ? Je peux pas avoir un peu de place sur la tablette au-dessus du lavabo ?
Des flacons. Des tubes. Des sprays. Des boîtes.
– Tout ça !
– Ah, ben, eh ! Si je veux être un minimum présentable…
Je lui ai libéré un peu d’espace.
– C’est tout ?
Un peu plus.
– Je voudrais vous demander un truc, tiens, tant que j’y suis.
– Je t’écoute.
– Ma chambre, là, je pourrai pas y faire venir quelqu’un des fois ?
– T’as un petit copain ?
– Attitré, non. Mais des fois ça arrive qu’il y ait un mec qui me plaise bien.
– Tu feras bien comme tu voudras.
– Oh, mais allez pas vous faire un film non plus, hein! Ce sera pas le défilé. Bon, mais vous savez quoi ? Je crève d’envie d’aller me baigner, moi. Vous venez ? On y va ?
Et elle a dévalé l'escalier sans attendre ma réponse.

mardi 23 octobre 2018

Alyssia, ma femme (32)


– Alyssia !
– Quoi ?
– Tu te lèves pas ? Tu vas être en retard.
– Quel jour on est ?
– Jeudi.
– Oh, putain, oui ! C’est vrai qu’on est en semaine. C’est pour ça qu’ils sont partis, les jumeaux. Ils bossent.
– Et nous aussi ! Normalement…
– Ils m’ont pas lâchée. Toute la nuit j’y ai eu droit.
– J’ai entendu ça, oui.
– Oh, ben, de ton côté, c’était pas mal non plus. T’en as fait quoi, d’ailleurs, d’Eugénie ?
– Elle avait les petits déjeuners à s’occuper.
– Je t’avais dit que ça allait pas tarder avec elle. Je te l’avais pas dit ? Et, apparemment, ça s’est plutôt bien passé. En plus ! Non ?
– Elle est adorable.
– Et ça aussi, je te l’avais dit…
– Quoi donc ?
– Que t’es amoureux d’elle.
– Cette fois, tu vas être en retard, c’est sûr.
– J’y vais pas. Je suis pas en état. Toi non plus, d’ailleurs, t’as de ces valises sous les yeux.
– On reste là alors ?
– Ou on va passer la journée quelque part ? Tous les deux ? Rien que nous deux ?

Ce fut, une nouvelle fois, Rocamadour.
– Comme le jour où…
On y est arrivés sur le coup de midi
– On déjeune là-bas ?
– Bien sûr.
La terrasse sous les tilleuls.
On a éteint nos portables.
– Qu’on soit tranquilles.
On a étudié la carte.
– Je sais ce que tu vas prendre…
– Moi aussi…
Émincés de foie gras et magrets de canard. Évidemment… Ça s’imposait.
On s’est souri. On s’est pris la main par-dessus la table.
– On peut bien dire ce qu’on veut, mais nous, ce sera toujours nous.
– Et de plus en plus.
– Surtout maintenant que…
Elle n’a pas achevé sa phrase.

Elle nous a voulu une petite sieste.
– Fais-moi l’amour ! Tout doux. Tout tendre.
– Vos désirs sont des ordres, chère Madame.
Mes doigts sur ses joues. Sur ses lèvres. Mes yeux dans les siens. On a fait durer. Longtemps. Et son plaisir l’a transpercée. Véhément. Débondé.
Elle est restée dans mes bras.
– C’est la première fois…
Les larmes lui sont montées aux yeux.
– C’est la première fois que j’en ai avec toi. Jamais, avant…
Elle s’est blottie contre moi.
– Si tu savais ce que j’en ai rêvé de ce moment-là…

On a passé le reste de l’après-midi à remettre nos pas dans nos pas. Main dans la main. À profiter du soleil. De la beauté des lieux. De nous.
Le château. Le sanctuaire. Puis la forêt des singes. On a erré au milieu d’eux. On leur a distribué des pop-corns. On s’est assis sur un banc et on les a regardés jouer, grimper aux arbres, en redescendre, se chamailler tant et plus.
– Et maintenant ?
– Eh bien ?
– On va faire quoi pour les autres, là ?
– Rien. Rien de spécial. Il y a rien de changé. Si ?
– Non. À part nous. Mais ça, ça ne regarde que nous.
– Exactement.
– On a été bien contents de les trouver. On va pas s’en débarrasser, comme ça, du jour au lendemain, sous prétexte qu’on n’a plus besoin d’eux.
– D’autant que c’est complètement faux. Ils peuvent encore nous apporter beaucoup. Énormément.
– Et nous à eux.
On s’est tendu les lèvres.

Le lendemain, au réveil, on a rallumé nos portables.
– J’ai un message de Benjamin.
– Et moi, d’Eugénie.

mardi 16 octobre 2018

Alyssia, ma femme (31)


Alyssia s’est montrée péremptoire.
– Oh, là ! Vous allez coucher tous les deux. Il y en a pas pour longtemps.
– Je sais pas. Je crois pas, non.
– Alors là, je suis bien tranquille. Oh, mais je te fais pas de reproches, hein ! Je serais vraiment très mal placée pour. Et puis, de toute façon, c’est ce qui peut t’arriver de mieux. Depuis le temps que je te le répète…
Elle est sortie de la douche, s’est enveloppé la tête dans sa grande serviette blanche.
– D’ailleurs, à ce propos, faut que je te dise quelque chose. C’est impressionnant ce que t’as changé ces derniers temps. Tu t’affirmes. T’es plus sûr de toi. Beaucoup plus homme, pour parler clair. Et ça, aussi bizarre que ça puisse paraître, c’est depuis que tu fais des trucs avec des types. On dirait que ça t’a dénoué quelque part. Donné le droit d’être toi-même. Alors Eugénie, c’est sans doute la suite logique du processus. Son aboutissement. Enfin ! C’est pas trop tôt.
– Et peut-être que pour nous, maintenant, alors, du coup…
Elle n’a pas répondu. Elle a posé un pied sur le tabouret, près du lavabo, pour se couper les ongles.
– À part ça, j’ai encore eu une longue conversation avec Benjamin ce matin. Et j’ai joué cartes sur table.
– À propos ?
– Ben, des jumeaux, tiens ! Qu’est-ce tu veux d’autre ? Il l’a pas mal pris du tout. Au contraire. Et alors, du coup, je te passe les détails, mais tu sais ce qu’on a décidé ? C’est que j’allais prendre une chambre avec eux, là-bas, au Petit Castel et qu’à vous, Benjamin, Camille et toi, Eugénie donnerait celle d’à côté. T’as rien contre ?
– Oh, que non !
– Par contre, va falloir la jouer fine. Faire hyper attention de pas se couper. Surtout au restaurant, en bas. On ne se connaît pas. On s’ignore. Non, parce qu’ils prendraient vraiment ça très mal, les deux autres…

Quand Camille est arrivée, on était déjà depuis un bon moment à table, Alyssia et les jumeaux tout au fond, près de la cheminée et moi tout seul à côté du grand buffet en chêne.
– Benjamin est pas avec toi ?
– Non. Il m’a déposé devant la porte et il est reparti. En catastrophe. Son père vient d’avoir une attaque.
Elle m’a effleuré les lèvres.
– Il est désolé, mais il tient absolument à ce qu’on ne change rigoureusement rien à ce qu’était prévu. Ça t’ennuie pas au moins ?
– Oh, mais pas du tout, non.
– On va pouvoir se consacrer exclusivement l’un à l’autre, comme ça.
Eugénie nous a apporté nos assiettes.
– Sous le regard attentif de cette charmante jeune personne.
Qui nous a gratifiés de son plus charmant sourire.

Quand elle est arrivée dans la chambre, on était étendus tous les deux sur le lit. Nus.
– Trop tard, ma pauvre !
– Oui. On n’a pas réussi à résister. On a bien essayé, mais ça pressait trop.
– Et ça va plus être possible maintenant. Parce qu’on s’est donnés à fond. On est sur les rotules.
– Alors, le mieux, c’est encore que t’ailles te coucher.
Sa mine désolée nous a fait éclater de rire.
– Mais non, idiote ! On t’a attendue.
– Par contre, à côté, ça fait un bon petit moment déjà qu’ils sont entrés dans le vif du sujet. Tiens, qu’est-ce que je disais !
Alyssia gémissait en sourdine. On l’a écoutée prendre son envol.
– Oh, c’est bon ! Non, mais c’est bon ! Qu’est-ce que c’est bon !
S’apaiser. En mots murmurés doux inaudibles. Retomber.

– Bon, mais c’est pas tout ça ! Et nous ?
J’ai proposé qu’Eugénie prenne la direction des opérations.
– Moi ?
– Ben oui, toi ! Pas le roi de Prusse.
Elle nous a regardés, perplexe, l’un après l’autre. Et puis elle s’est brusquement décidée. Elle est allée chercher deux serviettes dans la salle de bains dont elle nous a, après nous avoir fait lever, bandé les yeux. À l’un comme à l’autre,
Il s’est passé un long moment avant que sa main ne vienne se poser, toute chaude, sur mon ventre, n’y chemine, ne se dirige résolument vers ma queue, ne s’en saisisse.
Un frottement doux, soyeux. Elle nous avait mis bout à bout. Elle me caressait avec lui. Elle le caressait avec moi.
– Vous êtes tout durs.
Camille a envoyé promener la serviette de bains.
– Et merde ! Je veux voir.
Moi aussi.
Penchée sur nous, l’air absorbé, elle a continué à nous frotter voluptueusement l’un contre l’autre.
C’est Camille qui a joui le premier. En grande partie sur ma queue. Et puis moi. Sur la sienne. Et sur ses couilles.
Eugénie a relevé la tête, nous a lancé un regard enfiévré, s’est agenouillée et a léché. Tout. jusqu’au bout. Tandis que nos mains se perdaient dans ses cheveux.

Ce sont les trilles de plaisir d’Alyssia qui m’ont réveillé.
Eugénie était couchée à mes côtés. Elle a ri.
– Ça donne à côté, hein, dis donc !
– Elle est où, Camille ?
– Partie. Elle a reçu un SMS dans la nuit. Elle s’est habillée et elle a filé. Dommage d’ailleurs. Parce que j’avais bien ma petite idée pour demain matin.
– Qui était ?
– Tu préfèrerais quoi, toi ? Que ce soit elle qui vienne en toi ou le contraire ?
– Je sais pas. Je…
– Ça peut aussi être les deux. À tour de rôle.
– T’es pleine d’idées, toi, dis donc, quand tu veux !
– Oh, là, si tu savais !
– T’as aimé hier soir ?
– Tu parles si j’ai aimé ! Depuis le temps que ça me trottait dans la tête un truc comme ça…
– Mais t’as pas pris ton plaisir…
– Si ! Un plaisir de l’intérieur. C’est les meilleurs. N’empêche… je me répète, mais qu’est-ce que je suis contente de vous avoir rencontrés.
Elle m’a posé la main en bas. Je suis allé lui chercher un sein sous le tee-shirt. J’en ai agacé la pointe. On s’est longuement caressés. Le cou. Les fesses. Son bouton. Ma queue. Nos lèvres se sont cherchées. Trouvées. Nos langues se sont enlacées. Elle a refermé ses jambes autour des miennes, promené ses ongles tout au long de mon dos.
– Viens ! Oh, viens !
Elle s’est éperdue. En longs hululements échevelés. Qui se sont estompés, ont repris vigueur, ont longuement roulé.
– Reste ! Reste-moi dedans !
Elle a attiré ma tête contre la sienne. Joue contre joue.
– Je suis bien. Tellement !
Et elle s’est endormie.

mardi 9 octobre 2018

Alyssia, ma femme (30)


– Si j’avais su…
– Si t’avais su quoi ?
– Ben, que Benjamin nous avait une petite Camille comme ça sous le coude, j’aurais pas lancé l’opération jumeaux, moi !
– T’es pas mariée avec.
– Je suis pas mariée avec, non, ça, c’est sûr, mais j’ai pas trop envie de les laisser de côté non plus. Je m’éclate bien avec eux. Et puis ils sont tellement adorables…
– Amène-les le prochain coup. Quand il y en a pour cinq, il y en a pour sept.
– Oui, ben alors là, je les vois pas vraiment dans le rôle. C’est pas du tout le genre à apprécier les trucs entre mecs. Non, je vais me partager. C’est la seule solution. Une fois les uns, une fois les autres.
– Ça risque de pas être facile tous les jours.
– J’aviserai. Le moment venu. Bon, mais et toi, dans tout ça ?
– Quoi, moi ?
– Tu le vis comment ce qui se passe là ?
– Oh, bien. Très bien, même.
– C’est l’impression que tu donnes.
– Benjamin m’a grandement facilité les choses. Tout va de soi avec lui. Tout est parfaitement naturel.
– Tu prêches une convertie. Et Camille ?
– Oh, Camille ! C’est un véritable enchantement, Camille.
– Une petite merveille que, pour le moment, tu as dû te contenter de toucher avec les yeux. Oh, mais n’aie crainte… Ça va sûrement pas en rester là.
– J’espère bien.
– Et Eugénie ?
– Je sais pas, Eugénie. C’est compliqué.
– Oh, pas tant que ça ! Elle t’émeut, Eugénie. Elle te bouleverse. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Je te connais depuis le temps.
– C’est vrai qu’avec elle…
– T’es amoureux, avoue !
– Je crois pas, non.
– En tout cas, elle, elle l’est de toi. Ça fait pas l’ombre d’un doute.

Je me suis brusquement décidé. En tout début d’après-midi. J’avais trop envie. De la voir. D’échanger quelques mots avec elle. De la sentir à mes côtés.
– Toi !
Un sourire de surprise ravi.
– Moi, oui ! Tu me manquais trop…
Qui s’est épanoui au large.
Et presque aussitôt estompé.
– Si tu veux déjeuner, c’est trop tard. Ils vont jamais vouloir aux cuisines.
Je me fichais pas mal de déjeuner.
– Je veux juste passer un peu de temps avec toi.
Le sourire est revenu. Plus lumineux encore.
– Alors je finis mon service… J’en ai pas pour longtemps. Et je te retrouve sur le petit chemin derrière le parking. Tu vois où ?
Je voyais, oui.

On s’est enfoncés dans le petit bois.
– Je suis contente que tu sois venu. Très. Parce que…
– Parce que ?
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– J’avais peur que tu veuilles plus me voir.
– Et puis quoi encore !
Elle m’a jeté un petit regard de côté.
– Tu me juges pas trop mal ?
– Il y a aucune espèce de raison.
– Oh, si ! Si ! Il y a ce que je t’ai dit l’autre nuit. Et puis ce qu’il y a eu avant dans la chambre.
J’ai haussé les épaules.
– N’importe quoi ! Non, mais alors là, c’est vraiment du grand n’importe quoi…
– T’es sûr ? Tu me méprises pas ? Tu me trouves pas vicieuse ?
– Non, mais c’est quoi, ces idées que t’es allée te fourrer dans la tête ?
– Ça me fait honte, des fois, tu sais, toutes ces envies que j’ai. Que je peux pas m’empêcher d’avoir. Je me dis que je suis pas normale d’autant aimer ça voir des hommes entre eux. Bien plus que n’importe quoi d’autre.
Je lui ai pris la main. Elle a entrecroisé ses doigts avec les miens.
– Merci. Merci que je puisse parler comme ça avec toi. Te dire plein de choses que j’ai jamais dites à personne.
Elle a hésité.
– Les autres non plus, Benjamin, Camille, ils me jugent pas mal, tu crois ?
– Ça y est ! V’là que ça la reprend…
– Mais non, mais…
– Mais si ! Arrête de te faire des nœuds à la tête là-dessus, comme ça, sans arrêt.
– C’est que…
– C’est qu’il y a tellement longtemps que c’est ton secret… Un secret que, pendant des années, tu as eu la terreur de voir découvert, persuadée que tu passerais alors pour la dernière des dernières. Une perverse. Une anormale.
Elle m’a serré très fort la main.
– Qu’aujourd’hui que tu pourrais vivre tes aspirations en toute sérénité, avec des gens qui les partagent, eh bien non, tes appréhensions sont toujours là, bien calées, au risque de te gâcher ton plaisir.
– Tu comprends tout. C’est fou, ça !
– On ne te juge pas mal, Eugénie. Au contraire. On aime tes regards sur nous. Et on aime que tu aimes nous regarder. Beaucoup.
On s’est arrêtés. On s’est tus. Je me suis penché vers elle, vers ses lèvres qu’elle m’a abandonnées.


mardi 2 octobre 2018

Alyssia, ma femme (29)


On a attendu Eugénie. Qui a fait son apparition sur le coup de onze heures.
– J’ai pas pu plus tôt. Il y avait un monde ce soir…
Alyssia a aussitôt pris la direction des opérations.
– Bon, alors ce que je propose, puisque nous, les filles, on est en majorité, c’est que, pour commencer, les garçons nous offrent un petit strip-tease.
Camille a battu des mains.
– Oh, oui ! Oh, oui !
On s’est bien volontiers – et longuement – prêtés au jeu, Benjamin et moi. Sous le regard intensément attentif d’Eugénie, celui, intéressé, de Camille et le petit sourire semi-amusé d’Alyssia. Qui, quand on a enfin été nus, m’a regardé et a hoché la tête.
– Il bande. Tu bandes, mon cochon. Et pas qu’un peu !
Je bandais, oui. À cause d’Eugénie. Qui nous contemplait tant et plus. Qui détaillait, qui examinait, qui jaugeait. Que le spectacle ravissait manifestement.
Elle a proposé que quelqu’un vienne s’occuper de moi.
– Parce qu’on peut pas le laisser comme ça, mon petit mari. Ce serait cruel.
Camille s’est aussitôt mise sur les rangs.
– Moi ! Moi !
Et, sans attendre, elle s’est approchée, m’a effleuré, du bout des doigts.
– Ho là là ! Mon pauvre ! Non, mais dans quel état tu t’es mis. Faut faire quelque chose, là, faut vraiment faire quelque chose.
Elle s’y est employée. Avec détermination. Elle m’a décalotté. A entrepris un lent, très lent mouvement de va-et-vient.
Benjamin n’y a pas tenu. Il est venu à sa rescousse.
– Attends ! Attends ! Je vais t’aider. On sera pas trop de deux.
Il a refermé la main sur mes boules qu’il a doucement pétries, malaxées. Ses doigts à elle. Ses doigts à lui. Et le regard embrumé d’Eugénie. Dans lequel j’ai, très vite, intensément joui.

Alyssia a suggéré.
– Allez, au tour de Camille maintenant de nous offrir un joli petit strip-tease.
Elle ne s’est pas fait prier. Elle a lascivement fait remonter sa robe le long des cuisses. Haut. L’a laissée retomber. A recommencé. Un peu plus haut.
Elle nous a tourné le dos, a mis un temps infini à la quitter. Pas à pas.
Benjamin avait les yeux brillants.
– Elle sait y faire la garce, hein !
Elle a joué longuement avec le rebord de sa culotte. Sous laquelle elle a fini par glisser une main. L’autre. Elle a découvert le haut des fesses, s’est ravisée, puis brusquement décidée. La culotte est tombée.
– Je m’en lasserai jamais, moi. Quel cul ! Non, mais quel cul !
Elle s’est retournée, nous a fait face, les mains ramenées en coquille devant elle.
Il s’est fait suppliant.
– Nous fais pas languir, s’il te plaît ! Oh, s’il te plaît !
Elle les a lentement retirées.
Les yeux d’Eugénie se sont exorbités.
– J’y crois pas ! Non, mais alors là, j’y crois pas !
Benjamin a confirmé, l’air ravi.
– Eh, oui ! Elle a une queue ! Et une belle. Ah, ça surprend, hein !
Je me suis penché à l’oreille d’Eugénie.
– Et alors ? Elle est pas géniale, notre surprise ?
– Oh, si !
– On t’a gâtée, avoue !

Camille et Benjamin se sont enlacés. Embrassés.
Alyssia a protesté.
– C’est pas ce qu’était convenu.
– Ben oui, mais…
– Mais rien du tout ! Tu me le laisses, cette Camille.
Et elle s’en est emparée. Elle l’a entraîné vers le lit. Où ils se sont laissé tomber. Ils se sont pressés l’un contre l’autre. Il est allé la chercher sous son corsage. Sous sa jupe. Elle lui a offert ses lèvres, lui a doucement malaxé les fesses, chuchoté quelque chose à l’oreille.
Benjamin a tendu la main vers moi. J’ai tendu la mienne vers lui. Vers sa queue dressée. Que j’ai enveloppée, sentie durcir encore sous mes doigts.
Eugénie a ouvert son pantalon. Elle nous regardait. Elle les regardait. De nous à eux. D’eux à nous. Inlassablement. Elle a glissé une main sous son tee-shirt, l’autre dans sa culotte.
Je suis lentement descendu le long du torse de Benjamin. Je l’ai pris entre mes lèvres. Je lui ai agacé, mordillé le bout. J’ai relevé la tête. Pantalon et culotte aux chevilles, Eugénie se tourbillonnait frénétiquement le bouton.
Il m’a ramené à lui.
– Oh, putain ! Mais t’arrête pas ! Continue ! Continue !
Je l’ai englouti. Enveloppé de ma langue.
À côté Alyssia a gémi.
– Je vais jouir… Je vais jouir… Je jouis
À grandes envolées.
Benjamin s’est déversé dans ma bouche.
Et puis Eugénie. Qui a mélopé son bonheur, la tête renversée en arrière, les yeux mi-clos.
Tout est retombé.

Je me suis réveillé au cœur de la nuit. Il y avait quelqu’un, dans le lit, à mes côtés. J’ai avancé la main. Des cheveux mi-longs. Une femme. Qui a saisi la mienne de main. Qui a chuchoté.
– Tu dors pas ?
C’était Eugénie.
Je dormais pas, non.
On s’est rapprochés. Épaule contre épaule. Flanc contre flanc.
– Tu as aimé hier soir ?
Elle a étouffé un petit rire.
– Je serais difficile.
– On recommencera.
– Oh, oui, hein ! Quand ?
– Je sais pas, mais bientôt. Le week-end prochain, sûrement.
– Je peux te demander quelque chose ?
– Vas-y !
– Tu l’as complètement avalé Benjamin ?
– Jusqu’à la dernière goutte, oui. Pourquoi ?
– Non, pour rien. C’est que j’adore voir quand ça vous sort. Tu peux pas savoir ce que ça me fait.
– Tu m’as vu, moi.
– Justement ! Ça m’avait mise en appétit.
– La prochaine fois.
– D’autres trucs aussi qu’ils se font entre eux, les mecs, ça me rend complètement folle.
– Quoi ?
– Tu te doutes bien…
– Non. Je vois pas.
– Menteur !
Et elle m’a envoyé une petite tape sur la joue qu’elle a aussitôt corrigée d’un petit bisou au même endroit. Avant de venir se blottir contre moi.
– Je suis bien là.
Un peu plus fort encore.
– Jamais j’aurais pensé que je vivrais ça un jour avec des types. Ni que je pourrais en parler comme on fait là. Tu me diras tout, hein ? Ce que ça te fait. Ce que tu sens. Je veux tout savoir. Tout. Tu me promets ?
J’ai promis.
– Merci.
Et elle a calé sa cuisse contre ma queue.

mardi 25 septembre 2018

Alyssia, ma femme (28)


Alyssia avait passé l’après-midi avec Benjamin.
– Mais pas à s’envoyer en l’air. À discuter.
– Et alors ?
– On s’est expliqués. À fond. Ça m’a fait un bien fou, tu peux pas savoir…
– Un peu quand même que je peux savoir, si !
– Du coup, avant de rentrer, je suis allée jeter un coup d’œil sur cette Camille. Depuis le temps que je voulais le faire. Et quand tu la vois comme ça, belle comme un cœur, féminine en diable, t’as vraiment du mal à y croire.
– Et pourtant…
– T’as eu l’occasion de constater, de visu je sais ! Vous êtes sacrément devenus complices, Benjamin et toi, hein, n’empêche !
– Mais qui c’est qu’a poussé à la roue ?
– En attendant, tu sais ce qu’on a décidé ? C’est qu’on allait faire cause commune, Benjamin, Camille et moi.
– Cause commune ?
– Se voir tous les trois ensemble, si tu préfères. Comme ça, au moins, je resterai pas à me morfondre dans mon coin pendant qu’il est avec elle. Enfin, avec lui. Et puis je t’avouerai que la situation est loin de me déplaire. Et ce Camille non plus il me déplaît pas. Il a quelque chose. Un charme fou, en fait. Non. Je suis vraiment curieuse de voir comment il s’y prend. Et de les voir ensemble tous les deux. Tu sais quoi ? Eh ben, ça tombe pile poil au bon moment ce truc. Parce que ça commençait à s’affadir sérieusement, Benjamin et moi. On allait droit dans le mur. Tandis que là, il y a toutes les chances que ça relance la machine. Et pas qu’un peu ! Sans compter qu’il y en a une qui va être aux anges, c’est Eugénie. En plus !
– Et moi, dans tout ça ?
– Oh, toi, évidemment que t’as ta place, toi ! Comme d’habitude. Manquerait plus que ça ! Et de toute façon, maintenant, c’est le genre de choses qu’il serait absolument hors de question que j’envisage sans toi. D’ailleurs, il serait peut-être temps que t’ailles te préparer. C’est ton rôle d’aller faire quelques petits repérages avant, non ?
– Ah, parce que…
– On attaque dès ce soir, oui. Allez, file !

J’ai commencé par me mettre à la recherche d’Eugénie. Sur qui j’ai fini par tomber nez à nez, après un long périple, au détour d’un couloir. Elle a sursauté, fait un bond en arrière.
– Vous m’avez fait peur.
– C’était pas le but. Désolé.
– On vous a changé de chambre. Elle en a voulu une avec deux grands lits, votre femme. Parce que quatre vous serez, cette nuit, à ce qu’il paraît…
– Sans compter qu’on aura de la visite.
Elle n’a pas cillé.
– C’est vrai qu’il y aura une surprise ?
– Et une belle !
– C’est quoi ?
– Ce sera plus une surprise, si je vous le dis.
Elle a pris un petit air enjôleur.
– Oh, vous pouvez bien… Je vous ai donné mon tablier.
– C’était un somptueux cadeau.
Elle a eu un petit sourire ravi.
– Vous avez aimé, c’est vrai ?
– Oh, que oui ! Et c’est rien de le dire.
– Vous savez qui j’ai mis dans la chambre à côté de la vôtre ? Le couple de types.
– Ça, par contre, c’est un joli petit cadeau que vous vous faites à vous-même. Non ?
Elle a haussé les épaules.
– Elle sait bien, votre femme.
– Que ? T’adores ça, les hommes entre eux ?
Elle a soutenu mon regard.
– C’est ce que je préfère.
– Alors tu seras pas déçue, ce soir, tu verras…

La salle de restaurant était pleine à craquer.
– Forcément, avec les ponts.
Alyssia s’est impatientée.
– Qu’est-ce qu’elle fabrique, Camille ? Elle descend pas ?
Benjamin a souri d’un air attendri.
– Oh, alors elle ! Il lui faut toujours des éternités pour se préparer…
Quand elle a enfin fait son apparition, toutes les conversations se sont interrompues. La salle a retenu son souffle, tandis qu’elle voguait jusqu’à nous, majestueuse, royale, indifférente aux regards admiratifs qui s’agrippaient à elles.
– Je vous ai fait attendre.
– Oui, mais ça en valait sacrément la peine.
En nous apportant l’entrée, Eugénie s’est penchée à mon oreille.
– Qu’est-ce qu’elle est belle, cette fille !

Avant de regagner la chambre, on s’est offert une longue promenade digestive dans les parages de l’hôtel.
– Il y a rien qui nous presse.
Malgré l’heure déjà bien avancée, il faisait encore une chaleur étouffante.
– Ce qui veut dire qu’il va falloir qu’on laisse la fenêtre ouverte.
– Et que, du coup, on va empêcher tout l’hôtel de dormir.
– Tant pis pour eux !
– Ou tant mieux.
Les regards des hommes et des femmes qu’on croisait se posaient immanquablement sur Camille, s’y attardaient longuement. On se retournait systématiquement sur elle.
– S’ils savaient !
Benjamin a fini par s’impatienter.
– Bon, on remonte ?
– T’es bien impatient !
Et Camille a encore voulu cinq minutes.
– J’aime trop ça comment on me regarde.
Puis encore cinq autres. Puis dix.